Comment aider l’agriculture (Lu pour vous)

Il y a quelques temps, j'ai lu ce texte dans le livre de Butault Jean-Pierre sur les diverses formes que peut prendre l'intervention de l'État dans le secteur agricole. C'est un texte qui offre un tour d'horizon assez approfondi, tout en restant synthétique. Il vieillit assez bien et permet encore de comprendre certains aspects des conflits entre les États mais aussi au sein même des États, au Nord comme au Sud, en lien avec l'agriculture. Malgré quelques efforts de simplification, la lecture de ce résumé (lui-même assez long) peut présenter quelques difficultés. 
Référence complète: Butault J.P. et C. Le Mouël, Pourquoi et comment intervenir en agriculture? In Butault Jean-Pierre, éditeur, Les soutiens à l’agriculture. Théorie, histoire, mesure. INRA éditions, Paris, 2004, pp. 11 à 67.

Les arguments en faveur d’une libéralisation des marchés agricoles font intervenir principalement la loi des avantages comparatifs de Ricardo. Cette loi montre que, théoriquement, tous les pays peuvent gagner à l’échange sur le plan économique. La possibilité que le commerce international prémunisse contre l’insécurité alimentaire est aussi avancée comme argument, dans la mesure où il y a peu de chances que tous les pays soient affectés en même temps par les mêmes conditions climatiques susceptibles de faire baisser la production agricole.

Toutefois, le constat est que les États interviennent encore dans l’agriculture et plusieurs raisons peuvent l’expliquer. En plus du fait que le secteur agricole ne semble pas se prêter à une application rigoureuse de la loi des avantages comparatifs, il aurait des caractéristiques spécifiques (notamment demande inélastique , offre très élastique à moyen terme et incertaine, fixité des facteurs de production). Leur impact éventuellement négatif sur la sécurité alimentaire (du fait de l’instabilité des marchés ) et les revenus des agriculteurs sont décrits dans la question du problème agricole (ou « farm problem » en anglais). D’autres raisons extra-économiques font intervenir des objectifs stratégiques de certains États, comme l’indépendance alimentaire, les retombées positives des exportations agricoles et la relative influence sociale et politique des agriculteurs.

Si le contenu du discours justifiant une intervention en agriculture varie peu, les façons d’intervenir peuvent varier considérablement d’un Etat à un autre. On peut retenir six grands modes d’intervention en agriculture, selon le type d’instrument utilisé. De façon plus schématique, ces interventions peuvent s’effecteur au niveau du commerce extérieur, des marchés intérieurs ou encore, au niveau des facteurs de production.

Au niveau des échanges extérieurs, l’intervention principale consiste à instituer un droit de douane à l’importation.

Au niveau des marchés internes, on peut viser un prix garanti par intervention directe sur le marché, subventionner la production ou contrôler l’offre par un système de quotas de production (entre autres moyens).

Enfin, au niveau des facteurs de production, on pratiquera des aides aux intrants ou des aides aux facteurs quasi-fixes comme la terre.

Outre ces modes d’intervention classiques, un mode de soutien dit découplé (ou délié) a émergé comme un possible compromis entre intervenir en agriculture et libéraliser les échanges agricoles. Dans la suite, on en discute sommairement après avoir présenté les principaux modes d’intervention susmentionnés, leurs avantages et leurs inconvénients. Les avantages et les inconvénients varient selon qu’on considère les effets sur le contribuable, le consommateur ou le producteur, selon que le pays est importateur ou exportateur et selon qu’il s’agit d’un « petit pays » ou d’un « grand pays » (terminologie renvoyant au poids du pays dans les échanges mondiaux).

Droit de douane

L’institution d’un droit de douane permet de « protéger le marché intérieur de la concurrence des importations étrangères » (Butault, 2004, p. 24).

Le droit de douane peut prendre la forme d’une taxe proportionnelle au prix mondial (droit de douane ad valorem) pour un produit donné ou constituer un montant fixe prélevé par unité importée (droit de douane spécifique).

Dans les deux cas, cela fait augmenter le prix du produit importé sur le marché intérieur. Il est alors plus élevé que le prix du même produit d’origine nationale (supposé égal au prix mondial initialement). Ceci conduit les consommateurs à se tourner vers le produit national, tirant ainsi son prix à la hausse.

Au final, le consommateur se retrouve perdant car il consomme moins qu’initialement et paie plus cher, contrairement aux producteurs nationaux qui peuvent alors produire plus et vendre plus cher leurs produits.

Quant au contribuable, les recettes douanières constituent pour lui un gain.

Dans le cas d’un petit pays, la collectivité réalise une perte nette en raison des distorsions (allocations non optimales des ressources, au niveau de la production et de la consommation). Les conclusions sont quasiment les mêmes dans le cas d’un grand pays, la différence étant la possibilité que l’amélioration des termes de l’échange, induite par son impact sur le prix mondial et bénéfique pour le contribuable, compense les pertes liées aux distorsions et conduise alors à un gain net pour la société.

Prix garanti

Le prix garanti par intervention directe sur le marché intérieur peut être utilisé pour le soustraire ce marché aux fluctuations du prix mondial ou à la volatilité des prix agricoles.

Pour garantir ce prix institutionnel, un organisme de stockage public achète une quantité de l’offre en cas d’excès d’offre (une demande supplémentaire est créée) ou vend une quantité du produit stocké en cas de demande excédentaire.

Si le prix institutionnel est fixé à un niveau supérieur au prix mondial, cela implique pour un pays importateur l’établissement conjoint d’une taxe sur les importations (un « prélèvement ») pour ramener le produit concurrent importé au même niveau de prix que le produit national (sinon seul le produit importé serait consommé). Le prélèvement varie donc en sens inverse du niveau du prix mondial afin de ramener ce prix au niveau du prix institutionnel, ce qui différencie le prélèvement d’un droit de droit de douane équivalent.

Les pertes pour la collectivité sont les mêmes qu’avec un droit de douane équivalent mais sont susceptibles d’augmenter (d’être réduites) par une diminution (augmentation) du prix mondial.

D’un autre côté, l’existence de prix soutenu dans un secteur de production peut motiver une substitution du produit soutenu à d’autres produits non soutenus (donc jugés plus risqués), en même temps que se contracte la demande. Ainsi, l’offre du produit soutenu peut croître si vite que le pays en devient un exportateur. Cette croissance de la production peut s’expliquer aussi par le fait que le soutien du prix encourage la recherche de gains de productivité (« progrès technique induit »).

Comme le prix institutionnel est fixé supérieur au prix mondial, les contribuables doivent alors financer la différence pour que l’exportation des excédents d’offre (non absorbables par l’organisme stockeur) soit possible au prix mondial (subvention à l’exportation).

La perte nette observée dans le cas d’un « petit pays » exportateur est due aux effets distorsifs sur la production et la consommation et au coût que supporte le contribuable. La perte nette est encore plus importante dans le cas d’un « grand pays » exportateur car l’augmentation de ses exportations fait diminuer le prix mondial ce qui détériore ses termes de l’échange au bénéfice des consommateurs étrangers. Le « grand pays » exportateur peut même être pris dans un cercle vicieux si la demande intérieure continue de se contracter alors les exportations subventionnées augmentent.

Subvention à la production

Un autre mode d’intervention sur le marché consiste à laisser le prix intérieur inchangé sur le marché et à payer les agriculteurs la différence avec le prix institutionnel fixé (subvention variable à la production).

Seuls les producteurs sont protégés des fluctuations de prix. Les consommateurs achètent le produit au prix mondial.

Aucune recette douanière ne bénéficie au contribuable si le pays est importateur et il n’a pas à financer une subvention à l’exportation si le pays est exportateur.

On constate par ailleurs, comme avec le prix garanti, des effets distorsifs au niveau de la production car les producteurs allouent plus de ressources à la production subventionnée qu’ils n’en alloueraient sans la subvention. Les producteurs augmentent donc leur production et par conséquent font augmenter les subventions (en valeur), financées par le contribuable.

Pour un « petit pays », comme la production augmente alors que la consommation reste stable (le prix intérieur restant inchangé), cela affecte à la baisse les importations ou à la hausse les exportations sans changer le prix mondial. Finalement, avec une subvention à la production, la collectivité enregistre une perte nette essentiellement due aux effets distorsifs de la politique sur la production.

Pour la même politique, dans le cas d’un « grand pays » importateur, la baisse du prix mondial induit par l’augmentation de production conduit le consommateur à consommer plus en payant moins cher : il réalise un gain net. La baisse du prix mondial est due à une substitution de la production nationale aux importations. Un gain net reste donc possible pour la collectivité pourvu que le gain net réalisé par les consommateurs compense la perte nette subie par le contribuable.

Dans le cas d’un « grand pays » exportateur, le prix mondial baisse en raison de la substitution de la production aux importations mais aussi en raison de l’augmentation des exportations consécutive à celle de la production : la subvention coûte de plus en plus cher au contribuable puisque le prix mondial baisse, les exportations augmentent et les producteurs continuent de recevoir la différence (de plus en plus grande) avec le prix institutionnel grâce à la subvention. Il y a également détérioration des termes de l’échange, en partie captée par les consommateurs étrangers. L’importance (croissante) de la perte nette couplée aux effets distorsifs sur la production conduisent à une perte nette pour la collectivité.

On a pu remarquer des différences entre les effets du prix garanti par une subvention variable à la production et ceux du prix garanti par intervention directe sur le marché intérieur. Notamment, les effets distorsifs et les pertes du contribuable semblent moins sévères dans le cas de la subvention. Avec la subvention variable à la production, le consommateur réaliserait toujours un gain net positif (« grand pays ») ou nul tout au moins (« petit pays »). Toutefois, ces différences tendent à s’estomper si la demande intérieure du produit est inélastique, comme c’est souvent le cas en agriculture. Néanmoins, d’autres différences renvoient à la « transparence » de la politique, aux coûts administratifs engendrés et au coût d’opportunité des fonds publics (surtout dans le cas de la subvention), à la justice sociale quand les consommateurs (les pauvres plus que les riches) supportent les coûts (intervention directe). Enfin, il y a une controverse sur l’impact (négatif ou positif) sur les pays en développement de ces politiques dans les « grands pays », qui auraient contribué à tirer les prix mondiaux à la baisse.

Quotas de production

Un troisième mode d’intervention sur le marché intérieur consiste à intervenir en amont pour contrôler l’offre. On peut exercer ce contrôle ex post (par exemple, en détruisant les quantités excédentaires) ou ex ante, notamment par la répartition de droits à produire ou quotas de production.

Le contingement ex ante de la production par les quotas apparaît comme la forme la plus « pure » de contrôle de l’offre. Au Canada, les œufs, les volailles et le lait sont sous un système de gestion de l’offre par des quotas de production.

Si on part d’une situation de libre-échange, la mise en place d’un système de quotas limitant la production globale peut permettre d’augmenter le revenu des agriculteurs en faisant augmenter le prix intérieur. Dans ce cas, le contingentement va de pair avec un contrôle des importations aux frontières, par exemple en instituant des droits de douane.

Si la demande intérieure est inélastique, il suffit d’une faible réduction de l’offre pour faire augmenter considérablement les revenus des agriculteurs (Loi de King). Le quota optimal est celui qui annule l’effet de la baisse des recettes due à la baisse de production par l’effet de l’augmentation des recettes consécutive à l’augmentation des prix.

Ce système a l’avantage de ne rien coûter au contribuable et peut être particulièrement intéressant si le coût d’opportunité des fonds publics est élevé. Mais le système impute une perte nette au consommateur qui supporte entièrement l’augmentation de prix. De plus, les producteurs réalisent un gain moindre qu’avec un système de prix garanti car le volume de production est sous contrainte.

Le système de quotas, contrairement au système de prix garanti, conduit à un marché pratiquement fermé au commerce international. Mais il peut être intéressant de coupler un système de quotas avec un système de prix garanti pour contrôler l’augmentation de la production attendue avec la mise en place du système de prix garanti.

Finalement, les principaux inconvénients théoriques du système de quotas sont la perte subie par les consommateurs, une entrave à l’innovation et à la recherche de gains de productivité (ces gains n’étant pas valorisés), le monolithisme dans lequel il place les producteurs si les droits à produire ne sont pas échangeables et la déconnexion du prix intérieur par rapport au marché mondial.

Aide aux facteurs de production

Une autre catégorie d’interventions courantes en agriculture consiste au soutien par l’aide aux intrants variables (tels que les semences et les engrais) ou par l’aide aux facteurs de production fixes ou quasi-fixes (comme la terre). En modifiant le coût de production par unité produite, ces formes d’aide sont susceptibles d’amener les producteurs à modifier leur combinaison de ces intrants ou leur utilisation de ces facteurs.

Si on se concentre sur un produit pour lequel on fait diminuer le coût d’un des intrants utilisés pour sa production, on s’attend à observer un effet de substitution de cet intrant aux autres intrants et un effet d’expansion se traduisant par une augmentation du volume produit. En économie fermée, compte tenu de la loi de King, cet effet d’expansion est susceptible de faire baisser le prix et le revenu des agriculteurs que la politique était censée aider. Dans une économie ouverte, aucun effet sur le prix mondial ou la consommation intérieure ne sera observé dans le cas d’un « petit pays ». En revanche, dans le cas d’un « grand pays », un accroissement de production pourra être observé et contribuer à tirer à la baisse le prix mondial et, par suite, le prix du marché intérieur.

Si plusieurs produits sont en jeu, des effets de substitution des productions concernées par l’aide aux intrants aux productions non couvertes sont susceptibles d’être observées si la spécificité de l’intrant à certaines productions est élevée. Des effets de distorsion sur le commerce international peuvent aussi être observés.

Quant à l’aide à un facteur de production quasi-fixe comme la terre, le principal effet attendu est l’augmentation de la rémunération de ce facteur, et du revenu de l’agriculteur si le facteur lui appartient, dans un cadre monoproduit. Dans un cadre multiproduit, si on observe un effet de substitution sur les surfaces cultivées, l’effet d’expansion sera limité par le fait que la politique ne concerne pas les intrants variables et n’affecte pas les rendements. Cette aide peut se rapprocher des systèmes émergents d’aides dites découplées quand il n’y a pas d’obligation à produire pour en bénéficier.

Un mot doit être placé sur cette notion de découplage qui renvoie à des interventions (essentiellement des paiements forfaitaires) indépendantes des décisions de production et de consommation et n’interférant pas avec le libre fonctionnement des marchés, du moins en théorie. Plusieurs études soulignent que les politiques ne sont peut-être jamais parfaitement découplées (existence d’effet de revenu, d’effet d’assurance, etc.). Toutefois, le découplage apparaît comme un compromis acceptable et accepté, voire transitoire, entre intervenir et libéraliser complètement le secteur agricole, un secteur qui revêt encore un rôle vraiment stratégique.

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